Éditions L’Harmattan, octobre 2021.
Cet ouvrage se situe dans le prolongement de mes travaux d’économie immobilière, notamment sur la question des patrimoines immobiliers. Il constitue aussi une critique de l’ouvrage de Thomas Piketty « le capital au 21ème siècle » qui contient des affirmations contredites à la fois par la réalité économique et par l’analyse économique. L’ouvrage de Piketty avait fait l’objet de commentaires critiques dans un article publié sur ce blog en août 2014 : « Capital et patrimoine immobilier : à propos de l’ouvrage de Thomas Piketty »
Mon ouvrage vise à rétablir la vérité concernant l’évolution des inégalités et à apprécier son impact sur la croissance. On y montre que l’accroissement des inégalités de patrimoine est principalement imputable à l’abondance des liquidités et que c’est la faiblesse du taux d’intérêt qui pèse sur la croissance.
1 Les fautes de Thomas Piketty
La question des inégalités est d’abord une question de fait. Le plus souvent l’évolution de la réalité économique ne peut résulter de l’observation courante, elle doit passer par une mesure statistique. Ce n’est que lorsque l’évolution est massive qu’on peut l’observer indépendamment d’une mesure statistique. C’est le cas ces dernières années avec l’évolution des inégalités de patrimoine. Leur accentuation est manifeste. On peut même identifier les composantes des patrimoines qui se sont revalorisées. Il s’agit des actifs représentés par des droits de propriété, immobilière et mobilière. Les données statistiques confirment le phénomène et en donnent une mesure.
D’où vient cet accroissement des inégalités de patrimoine ?
Selon Piketty « il est possible d’expliquer l’essentiel de l’accumulation du capital privé entre 1970 et 2010 par les volumes d’épargne observés entre des deux dates (et de capital initial) sans qu’il soit nécessaire de supposer une forte hausse structurelle du prix relatifs des actifs » (Piketty page 277). Ainsi l’évolution des patrimoines immobiliers serait due à la construction de biens neufs et la flambée des prix que chacun a pu observer ne serait qu’une supposition.
L’observation courante et les statistiques contredisent cette affirmation. Ainsi, selon l’INSEE, entre 1998 et 2015, « le patrimoine immobilier moyen a augmenté de 133 %, essentiellement sur la période 1998‑2010 (+ 50 % tous les six ans). La masse de patrimoine immobilier a augmenté de 156 % entre 1998 et 2010, principalement en raison de la valorisation des logements anciens (contribution de 102 points à la croissance du patrimoine immobilier), et dans une moindre mesure de la contribution des constructions neuves durant cette période (contribution de 38 points), le reste étant dû à la hausse des prix des logements neufs (contribution de 16 points)[1] ».
En définitive, l’accroissement en valeur du patrimoine immobilier est imputable pour les ¾ à l’augmentation du prix des biens, neufs et anciens, et pour ¼ à l’accroissement du volume du stock par la construction. C’est donc majoritairement un effet prix qui est responsable de l’accroissement de valeur du patrimoine immobilier. Concrètement, au début des années 2000, un propriétaire de logement avait un bien dont la valeur moyenne était de l’ordre de 100000€. Vingt ans plus tard, le même logement a une valeur moyenne qui a doublé. Cet accroissement s’est opéré sans investissement majeur, c’est-à-dire sans accroissement des volumes.
La nouvelle question est alors de savoir d’où vient cette hausse des prix immobiliers et des autres droits de propriété. Il faut ici faire référence à la nature économique des patrimoines.
C’est là que Piketty commet délibérément une autre faute, conceptuelle celle-là, en utilisant capital et patrimoine « comme des synonymes parfaits ». La raison de cette assimilation est que la distinction serait difficile à opérer. Ainsi il affirme « qu’il n’est pas toujours évident de séparer la valeur des bâtiments de celle des terrains sur lesquels ils sont construits »[2]. Cela revient à ignorer les comptes de patrimoine de l’INSEE qui depuis plus de 40 ans opèrent cette distinction. Davantage encore cette distinction structure ces comptes qui distinguent les actifs financiers des actifs non financiers, et parmi des derniers, les actifs produits, comme les constructions, et les actifs non produits, dont les terrains sous-jacents.
Ces fautes de Piketty sont guidées par le résultat qu’il veut démontrer, à savoir que les inégalités de patrimoine sont le produit d’une accumulation du capital, elle-même provenant d’un prélèvement accentué des plus riches sur la richesse produite. Son travail sur les inégalités de revenu qui se focalise sur les plus hauts revenus vise à laisser supposer que ce sont elles qui sont à l’origine des inégalités de patrimoine.
2 Quelle est la réalité de l’évolution des inégalités de revenu ?
Tous les indicateurs statistiques font apparaître le même fait : les inégalités de revenu ont peu varié depuis 30 ans. C’est d’abord le cas du partage de la valeur ajoutée, le produit intérieur brut, entre la rémunération du capital et celle du travail. Depuis le milieu des années 80, la part du travail s’établit à un peu moins de 60% du PIB. Le capital ne s’approprie donc pas une part plus importante du revenu national. Serait-ce alors la hiérarchie des salaires qui aurait évolué ? Là encore les données de l’INSEE ne font pas apparaître d’évolution des écarts de salaires.
Si l’on en vient maintenant aux niveaux de vie qui prennent en considération les revenus mais aussi la structure familiale des ménages, là non plus on n’observe pas d’évolution significative.
Les indicateurs synthétiques de mesure des inégalités, notamment l’indice de Gini, confirment cet état de fait. Devant cette réalité, Piketty considère que l’indice de Gini est « peu lisible ». En fait il est parfaitement lisible, ce qu’on y lit est que les inégalités varient peu. Cela ne lui convient pas parce que cela donne une vision « apaisée » des inégalités.
3 A quoi est dû l’accroissement des inégalités de patrimoine ?
Autant les inégalités de revenu ont peu évolué depuis 30 ans, autant les inégalités de patrimoine se sont significativement accrues. Notamment la valorisation des patrimoines immobiliers a accru l’écart entre ceux qui détiennent un bien immobilier depuis 20 ans et les autres. Il en est de même avec d’autres composantes de patrimoine comme les participations dans les entreprises.
Ce constat de l’accroissement des inégalités de patrimoine et le constat précédent de la stabilité des inégalités de revenu interdisent que les premières soient dues aux secondes. Il faut donc revenir à la nature économique des patrimoines pour identifier la cause de leur divergence.
Rappelons que capital et patrimoine sont deux notions différentes. Le capital est constitué de biens comme les machines, les bâtiments, les logiciels, qui servent à produire d’autres biens. C’est donc un produit qui a un coût de production et qui s’amortit avec le temps. Un actif patrimonial est ce qui peut rapporter de l’argent dans le futur. Ce peut être des liquidités, une créance, ou un droit de propriété mobilière ou immobilière. La valeur de l’actif est la somme des revenus actualisés qu’il peut générer. Dans la terminologie économique c’est la Valeur Actualisée Nette, la VAN. De manière plus simple, la valeur d’un actif qui peut générer un revenu est égal à ce revenu divisé par le taux d’actualisation qui est le taux d’intérêt plus une prime de risque. Autrement dit, la valeur d’un actif croît avec le revenu qu’il peut générer mais varie en proportion inverse du taux d’intérêt. Quand le taux d’intérêt est divisé par 2, le prix des actifs double. C’est ce qui s’est passé depuis 20 ans dans l’immobilier et sur le marché des actions.
Dès lors la revalorisation des actifs patrimoniaux représentés par des droits de propriété n’est que partiellement imputable à l’accumulation du capital. L’essentiel de cette revalorisation résulte de la capitalisation des revenus futurs sous la forme des taux d’intérêt. C’est donc un phénomène largement nominal.
L’abondance des liquidités et les taux bas jouent aussi sur la capacité d’endettement pour l’acquisition des actifs que l’on peut financer par de la dette. Ainsi dans le domaine des prêts immobiliers, en l’espace de quelques années les ménages ont vu leur capacité d’endettement doubler grâce à l’allongement de la durée des prêts et la baisse des taux d’intérêt. Dotés d’une capacité à payer doublée face à une offre qui est déjà existante pour l’essentiel, ils ont payé les logements deux fois plus cher. Un phénomène similaire joue sur le marché des actifs mobiliers dans les opérations de rachat des entreprises et dans le rachat par une entreprise de ses propres titres.
4 Les effets sur la croissance
Observons d’abord que la croissance du marché des droits de propriété quand il se limite à des actifs existants n’est pratiquement pas générateur d’activité économique, sauf celle des intermédiaires. Cette croissance est donc stérile.
Mais les effets sont également négatifs à long terme. On a coutume de penser que les taux bas et l’abondance de liquidité sont positifs pour l’économie parce que les agents économiques peuvent s’endetter davantage pour investir davantage. Mais même quand ils ont un effet positif sur l’activité économique, ce n’est vrai qu’à court terme. A long terme le taux d’intérêt (plus le progrès technique) est le taux de croissance. C’est ce que montre le modèle de Solow, qui lui a valu le prix « Nobel » de sciences économiques. L’idée est que les agents économiques investissent jusqu’au point où leur investissement leur rapporte autant qu’il leur coûte. Le coût est le taux d’intérêt, le rendement est le taux de croissance. C’est en effet ce qui fait qu’en investissant 100, on a un peu plus de 100 à la fin de l’année.
A long terme la baisse des taux et l’abondance de liquidités pèsent donc sur la croissance. Elles pèsent directement par l’effet sur le taux de croissance comme on vient de le montrer. Elles pèsent indirectement par la dette qui grève les revenus futurs. A cet égard les dettes privées et publiques sont à l’économie ce que le réchauffement climatique est à l’environnement, un poids sur le futur.
[1] Lamarche et Salembier, Revenu et patrimoine des ménages, Vue d’ensemble, INSEE Références édition 2018.
[2] Opus cité page 84.
L’analyse historique que nous donne Picketty est un ouvrage remarquable par son ouverture tous azimuts. L’inegalite relative (et non l’alleviation de la pauvrete absolue) est son fond de commerce, et Picketty a du mal a voir d’autre cause que l’extraction de rente par le grand capital.
La baisse des taux des pays de l’OCDE depuis 1995 a été attribuée par la deflation introduite par l’accession de la Chine a l’OMC.
Certains des themes de Picketty sont repris dans cet article: https://economiepublique.blogspot.com/2019/10/lhistoire-des-regimes-de-propriete-en.html