L’observation du marché du logement est assez simple. L’offre est constituée des bâtiments existants ou en construction, la demande est constituée des personnes résidant en France. Ces données sont documentées de longue date. Mais, si l’offre est constituée directement des bâtiments, la demande n’émane pas directement des personnes considérées individuellement. Elle s’exprime sous la forme agglomérée des ménages. Un ménage recensé comme tel est l’ensemble des personnes qui habitent un même logement, quels que soient les liens entre eux, couple, famille, colocataires etc. Par définition un ménage n’existe donc qu’une fois logé. Autrement dit, économiquement, la demande mesurée est la demande « satisfaite » ce qui ne veut pas dire que les ménages soient satisfaits de leur logement.
On compare d’abord l’offre et la demande avant d’approfondir les facteurs d’évolution de la demande.
1 L’offre excède de plus en plus la demande
Le graphique 1 montre les variations du nombre de logements et celles du nombre de ménages, la demande. La première grandeur excède un peu l’offre puisqu’elle inclut l’accroissement du nombre de résidences secondaires, de l’ordre de quelques dizaines de milliers de logements par an. Le nombre de ménages est calculé à partir de son taux de variation fourni dans les statistiques de Revenu Disponible Brut des Comptes Nationaux de l’INSEE appliqué à une année de base.
La comparaison de l’offre et de la demande fait apparaître jusqu’en 2002 une évolution parallèle des deux composantes du marché. Depuis 2002, les évolutions divergent. L’offre se maintient à un niveau très élevé tandis que le demande connaît une diminution constante pour atteindre, en 2016, 160000 nouveaux ménages, c’est-à-dire moins de la moitié du chiffre de 2002. Par conséquent, l’offre nouvelle excède la demande nouvelle de 100% en 2016.
Il s’agit maintenant d’essayer de trouver les raisons de cette évolution de la demande.
2 Les raisons de l’évolution de la demande
La demande qui émane de la population évolue sous l’effet de facteurs démographiques auxquels s’ajoutent éventuellement des facteurs économiques.
L’INSEE indique que « l’accroissement total (ou variation totale) de population est (…) la somme de l’accroissement naturel, du solde migratoire, et parfois d’un ajustement destiné à rétablir la cohérence entre les différences sources statistiques ». C’est dire que la variable ajustement révèle une indétermination des facteurs de variation de la population. Rappelons que l’accroissement naturel est le solde des naissances vivantes sur les décès.
Ces différentes composantes n’impactent pas la constitution de ménages de la même manière. Les naissances ne sont pas par elles-mêmes constitutives de nouveaux ménages. Elles ne sont à l’origine d’un nouveau ménage qu’en cas de départ de la mère d’un ménage déjà constitué. Les décès peuvent avoir un effet sur le nombre de ménages s’ils concernent une personne vivant seule, c’est-à-dire constituant un ménage. C’est le cas d’un tiers des ménages. Le solde migratoire peut affecter le nombre de ménages en cas de départ ou d’arrivée d’un actif seul ou d’une famille.
Par ailleurs, le nombre de ménages peut aussi changer sans que l’effectif de la population ne change sous l’effet du départ de personnes d’un ménage déjà constitué, notamment celui des jeunes adultes, mais aussi de la séparation des couples. Il peut aussi varier à la baisse avec le regroupement en ménages de personnes vivant seules, notamment en cas de constitution de couples ou de cohabitation, colocation par exemple.
On représente sur le graphique 2 les séries de données correspondant à ces facteurs démographiques en utilisant le taux des 20-24 ans dans la population comme variable d’approximation de la constitution de nouveaux ménages à partir des ménages existants.
Sur la longue période, c’est-à-dire depuis 1960 on constate que le nombre de nouveaux ménages est relativement stable, de l’ordre de 250000 chaque année. On observe le pic de 1962 qui résulte d’un accroissement du solde migratoire correspondant aux rapatriés d’Algérie.
Sur la période récente, le choc de demande des années 1998-2002 peut s’expliquer par le léger redressement du taux des 20-24 ans dans la population et par l’évolution de la variable « ajustement » dont on ignore le contenu. Après 2002 l’accroissement du nombre de nouveaux ménages poursuit sa diminution, en partie du fait de la reprise du déclin de la part des 20-24 ans, mais surtout du retour à zéro de la composante ajustement. Plus récemment, l’accroissement du nombre de décès dans une population vieillissante a joué également un rôle.
3 Une quantification des effets de l’évolution des composantes démographiques
On peut quantifier la contribution des différentes composantes démographiques à la variation du nombre de ménages. On effectue l’ajustement statistique sur les séries de 1996 à 2016 pour lesquelles l’ensemble des variables considérées est renseigné.
Tableau 1 La variation du nombre de ménages en fonction de la démographie
Ajustement | Solde migratoire | Nombre de décès | Taux des 20-24 ans | Constante | |
Coefficient | 0,516 | 0,401 | -1,011 | 5579230 | 426872 |
T de Student | 6,296 | 2,356 | -3,751 | 3,672 | 1,914 |
Les coefficients ont le signe attendu et leur valeur est statistiquement significativement différente de zéro avec un R² = 0,919. On teste qu’il n’y a pas d’autocorrélation des résidus qui indiquerait qu’ait été omise une variable importante.
Ces résultats signifient que lorsque l’accroissement du nombre correspondant à l’ajustement est de 1 unité, le nombre de ménages s’accroît d’un peu plus d’une ½ unité. Un solde migratoire positif de 1 a une incidence de moins de ½ sur le nombre de ménages, eu égard au regroupement familial. L’impact des décès est négatif, un décès faisant disparaître un ménage ce qui laisse supposer qu’un décès conduit à des reconfigurations des ménages existant puisque les décès ne sont pas seulement le fait des ménages de 1 personne. Une variation de 1/1000 de point du taux des 20-24 ans, conduit à une variation de même sens d’environ 5600 du nombre de ménages.
Comme on le voit le rôle de la variable « ajustement » laisse une part inexpliquée dans les déterminants de la variation du nombre de ménages. Ajoutons à cela l’incertitude qui plane sur le solde migratoire considéré provisoirement par l’INSEE comme constant en 2015 et 2016. En définitive l’explication de l’évolution récente de la demande de logements repose au moins sur une variable partiellement inexpliquée.
On peut aussi se demander si la demande de logements, qui représente les ménages logés, est seulement un déterminant exogène du marché ou si elle n’est pas aussi endogène, c’est-à-dire au moins partiellement déterminée par le marché. Pour faire le test on introduit le prix des logements anciens comme variable explicative supplémentaire.
Tableau 2 La variation du nombre de ménages en fonction de la démographie et du prix des logements
Ajustement | Solde migratoire | Décès | Taux des 20-24 ans | Prix des logements anciens | Constante | |
Coefficient | 0,4847 | 0,4355 | -1,0799 | 4610086 | -126,63 | 534101 |
T de Student | 4,509 | 2,301 | -3,4468 | 1,781 | -0,469 | 1,651 |
Le coefficient du prix des logements anciens a le signe négatif attendu, un prix plus élevé étant un facteur désincitatif à la constitution d’un ménage. Mais il ne peut pas être considéré comme statistiquement différent de zéro. On est donc conduit à écarter le prix comme variable explicative de la demande et à considérer que le nombre de ménages est déterminé essentiellement par des variables démographiques.
4 Une projection de la demande de logement à l’horizon 2025
On peut utiliser l’équation estimée des déterminants de la demande de logement par les seules variables démographiques pour faire une projection de la demande à l’horizon 2025.
Les variables représentant les composantes démographiques font l’objet de projection par l’INSEE que l’on utilise en retenant le scénario central. On suppose que la composante « ajustements » est désormais nulle. Le solde migratoire est estimé à 100000 personnes par an. Le nombre de décès est fourni par l’INSEE et le taux de 20-24 ans est calculé à partir de la structure par âge de la population. Les résultats sont les suivants. Les chiffres de l’année 2016 sont les chiffres observés.
Tableau 3 Projection de la variation du nombre de ménages jusqu’en 2025
Variation calculée du nombre de ménages | Taux des 20-24 ans | Nombre de décès | Solde migratoire | |
2016 | 166803 | 0,0569 | 581073 | + 79 000 |
2017 | 186228 | 0,0578 | 597112 | + 100000 |
2018 | 179654 | 0,0574 | 601332 | + 100000 |
2019 | 177590 | 0,0577 | 604948 | + 100000 |
2020 | 177270 | 0,0582 | 608092 | + 100000 |
2021 | 178423 | 0,0589 | 610979 | + 100000 |
2022 | 178814 | 0,0595 | 613548 | + 100000 |
2023 | 179260 | 0,0600 | 616077 | + 100000 |
2024 | 178493 | 0,0604 | 618703 | + 100000 |
2025 | 176244 | 0,0604 | 621381 | + 100000 |
On constate que le solde des nouveaux ménages ainsi calculé se redresse par rapport à 2016, dernière année renseignée, mais qu’il reste dès 2018 en dessous des 180000. Ces résultats sont imputables notamment au nombre croissant de décès attendus du fait de l’arrivée à des âges élevés des personnes appartenant à des classes d’âge nombreuses. En contrepartie il est prévu une légère croissance du taux de 20-24 ans qui sont les plus susceptibles de former de nouveaux ménages.
Avec ces projections, on est assez significativement en dessous des dernières projections faites par Alain Jacquot au service de statistiques du ministère du logement en 2007 (« La demande potentielle de logement : un chiffrage à l’horizon 2020 », note du SESP n°165) qui tablait sur une croissance de 240000 en hypothèse basse et de 273000 dans l’hypothèse haute.
En définitive si le nombre de logements construits ne diminue pas on restera dans un excès d’offre de logements par rapport à la demande et la continuation de l’accroissement de la vacance. La principale incertitude qui pèse sur cette projection réside dans le solde migratoire. Dans ses projections de population à l’horizon 2070 (INSEE Première 1619, 3/11/2016), l’INSEE retient un solde migratoire de 70000 personnes, soit 30000 de moins que le chiffre retenu ici. Ceci conduit à un nombre de ménages inférieur de près de 15000 à celui estimé dans la projection.
Par ailleurs toutes ces données s’intéressent au nombre de logements et de ménages, elles n’intègrent pas la dimension qualitative de la demande, la composition des ménages, qui impacte la typologie des logements.