La demande de logements émane des personnes et est donc déterminée à l’origine par des phénomènes démographiques. Du côté de l’offre de logements, la construction est la principale forme d’accroissement du stock pour faire face à un accroissement de la demande. Au niveau national les volumes de construction sont amplement suffisants pour satisfaire la demande de logements (Voir :Faut-il construire 500 000 logements par an .) Mais qu’en est-il au niveau local ? Construit-on suffisamment ou trop peu dans les différentes régions françaises ? On fournit ici une explication chiffrée des volumes de construction en régions en fonction des évolutions démographiques. Il ressort notamment de cette analyse que les volumes de construction de logement sont en dessous de la normale en Ile-de-France.
Le taux de construction varie avec le taux de croissance démographique des régions.
En France la population s’accroît de 0,5% par an et par conséquent la demande de logements aussi, ce qui nécessite un flux de constructions nouvelles. Sur la période 2007-2012 toutes les régions connaissent un accroissement de population plus ou moins marqué, de presque zéro pour le Limousin à plus de 1% par an pour la Corse et le Languedoc-Roussillon. L’Ile de France croît au taux moyen français de 0,5% par an. Sur l’ensemble des régions, il n’est donc pas surprenant que l’on trouve un coefficient de corrélation positif de 0,783 entre le taux de croissance démographique et le taux de construction annuel (égal au nombre de logements commencés sur le nombre de résidences principales en 2007). On construit donc beaucoup en Corse et assez peu dans le Limousin. Pour mémoire, quand deux variables varient dans le même sens, le coefficient de corrélation est positif, d’autant plus proche de 1 que les évolutions sont semblables. Ici le coefficient est calculé en pondérant les régions par leur poids démographique.
L’accroissement naturel et le solde migratoire jouent en sens inverse
La croissance démographique peut s’effectuer sous deux formes, l’accroissement naturel, égal au solde des naissances par rapport aux décès, et le solde migratoire, représentant la différence entre les entrées et les sorties dans la région. De ce point de vue les régions présentent de nettes différences mais dans l’ensemble il y a une liaison négative entre les deux modalités de l’évolution démographique (graphique 1).
Autrement dit, en tendance, les régions où l’excédent naturel est plus élevé sont aussi celles ou le solde migratoire est faible ou négatif et inversement. Par exemple, la Corse, qui connaît la croissance démographique la plus élevée, le doit exclusivement à son solde migratoire positif, son solde naturel étant nul. Il en est de même dans une moindre mesure pour l’Aquitaine, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon.
L’Ile de France présente une position extrême quasi inverse avec le solde naturel le plus élevé de toutes les régions métropolitaines et le solde migratoire négatif également le plus élevé, à égalité avec le Nord-Pas-de-Calais. Ce solde naturel élevé n’est pas dû à une fécondité féminine exceptionnelle. Celle-ci est de 2,02 en Ile-de-France pour une moyenne nationale de 1,98, inférieure à celle des Pays de Loire à 2,11 ou du Nord-Pas-de-Calais à 2,08. On peut supposer que le solde naturel élevé s’explique par le solde migratoire négatif élevé si l’on considère que les personnes quittant la région parisienne sont plus âgées, qu’elles quittent la région pour prendre leur retraite ailleurs, où elles vont décéder. Ces flux de population peuvent aussi expliquer le solde migratoire élevé de la Corse ou celui à peine positif du Limousin.
Les soldes naturel et migratoire impactent différemment le taux de construction
Un solde naturel positif n’impacte pas de la même manière la demande de logements qu’un solde migratoire positif. Un solde migratoire positif va amener dans une région des personnes seules ou en famille qui vont le plus souvent désirer constituer un ménage, c’est-à-dire un groupe de personnes habitant un même logement. Il s’agira plus rarement d’une personne venant s’agréger à un ménage déjà constitué. Le solde migratoire aura donc un effet sensible sur la demande de logement.
En revanche, un solde naturel positif consiste en un excès des naissances sur les décès. Quand le décès est le fait d’une personne habitant seule, il va libérer un logement. Quand il s’agit d’une naissance en revanche, comme elle s’opère souvent dans un ménage déjà constitué, l’impact sur la demande va consister éventuellement dans la recherche d’un logement plus grand mais sans impact direct sur le nombre de logements demandés. L’effet d’un solde naturel positif sur la demande de logements sera donc moindre.
On observe effectivement une corrélation positive (+ 0,92) entre le taux de construction et le taux d’excédent naturel. Inversement, il y a une corrélation négative (-0,46) entre le taux de construction et le taux de croissance migratoire. Mais comme les deux taux de croissance démographiques sont eux-mêmes corrélés négativement, la mesure de leur impact sur le taux de construction doit être effectuée en les considérant simultanément dans une même relation. On ajuste une relation linéaire sur les données des régions. On trouve les résultats chiffrés suivants (régression multiple pondérée par le poids démographique des régions) :
Taux de construction = 0, 056 X taux naturel + 0,173 X solde taux migratoire + 0,177.
t : 2,43 10,49 15,48
R² = 0,991
Les valeurs des coefficients indiquent que la relation estimée est significative.
La relation indique que les deux composantes de la croissance démographique, quand elles sont prises en considération simultanément, impactent toutes deux positivement le taux de construction par l’intermédiaire de la demande de logement. Mais le solde migratoire a une incidence sur le taux de construction trois fois plus forte que le solde naturel : un point de solde migratoire en plus entraîne un accroissement du taux de construction de 0,17 point, contre 0,056 point pour le solde naturel.
Pour information, ces valeurs sont obtenues par une régression sur des données en coupe régionale, elles seraient vraisemblablement différentes sur les séries temporelles.
Les taux de croissance démographique peuvent prédire le taux de construction
Sur la base de la relation calculée précédente on peut calculer les taux de construction régionaux théoriques si toutes les régions se conformaient exactement au modèle précédent. Le graphique 2 ci-dessous présente les taux de construction observés et calculés par la relation.
Le graphique fait apparaître la bonne capacité prédictive de la relation. Du fait de la méthode, on a des régions avec un taux observé supérieur au taux calculé tandis que d’autres ont un taux inférieur. L’écart moyen entre les taux calculé et observé est nécessairement nul. L’écart pour chaque région peut être interprété comme un résidu aléatoire. Il peut aussi être interprété comme résultant de la non prise en compte d’autres variables explicatives.
Il apparaît qu’en Corse, Nord-Pas-de-Calais, et Alsace, on y construit plus que ce que les facteurs démographiques commandent en général. Dans certaines de ces régions on peut imputer une partie de « l’excès » à la construction de résidences secondaires qui obéit moins à des facteurs démographiques. En moyenne les résidences secondaires représentent de l’ordre de 10% de la construction de logements, plus dans certaines régions. Le rythme de construction élevé dans certaines régions peut s’expliquer aussi par les besoins de renouvellement du parc. Pour être plus affirmatif des analyses plus approfondies seraient nécessaires.
Dans d’autres régions on construit moins que ce que les phénomènes démographiques prévoient. C’est le cas de l’Auvergne (-26%), du Limousin (-29%), de la Bourgogne (-30%). Quant à l’Ile-de-France les phénomènes démographiques expliquent en partie le taux de construction modéré de 0,14 quand la moyenne française est à 0,225. La région subit les effets de son solde migratoire négatif que n’arrive pas à compenser son solde naturel fortement positif. Mais le taux de construction effectif est inférieur de 13% au taux calculé, ce qui correspond à une insuffisance de construction de plus de 5000 logements par an par rapport à un rythme moyen de construction de 42000 sur la période 2007-2012.
Il y a donc une part du faible taux de construction qui reste inexpliquée. Une analyse plus approfondie devrait prendre en considération les filières de construction, bailleurs sociaux, promoteurs, construction de maisons individuelles en diffus. Elle devrait également s’intéresser au processus de décision des autorisations de construire.