La grande ambition actuelle des pouvoirs publics est d’inverser la courbe du chômage. Cette courbe exprime l’évolution d’un excès de l’offre de travail de la part des individus par rapport à la demande de la part des employeurs. La même situation se manifeste sur le marché du logement. Loin de montrer une pénurie, le marché montre un excès croissant de l’offre de logement par rapport à la demande. Cet excès se manifeste dans la courbe de la vacance. On fait ici quelques réflexions économiques en s’appuyant sur un rapprochement entre le marché du travail et celui du logement.
1 Une vacance croissante
Le nombre de logements vacants croît continûment depuis 2005 après avoir connu une contraction pendant la période d’intense activité du marché immobilier entre la fin des années 90 et 2005. Sur les trente dernières années la courbe de la vacance connaît une nette envolée ces dix dernières années, comme la courbe du chômage. En taux, les évolutions sont moins marquées puisque le nombre total de logements s’accroît.
Il n’y a a priori aucune raison qu’il y ait un lien entre les deux évolutions. Chacune d’elles est la résultante de la rencontre de l’offre et de la demande sur ces deux marchés. Mais ils présentent certaines similitudes qui peuvent contribuer à comprendre leur état. Les deux marchés sont essentiellement des marchés de stock, stocks de population et de logements d’une part, stocks de main d’œuvre et d’emplois d’autre part. Deuxièmement ce sont des marchés de biens hétérogènes dans le sens ou deux emplois ou deux employés sont imparfaitement substituables tout comme deux logements. En troisième lieu les deux marchés présentent une certaine viscosité due à des rigidités qui rendent leur ajustement plus lent et plus difficile. Le taux de vacance des logements doit donc être interprété comme le taux de chômage. Par conséquent si on interprète le taux de vacance comme un indicateur de l’activité du marché du logement, il faut interpréter le taux de chômage comme un indicateur du marché du travail. Ce n’est pas l’interprétation la plus courante. En fait il en est des logements inoccupés comme des personnes inoccupées. Certains retrouvent rapidement un occupant (ou un emploi), certains restent durablement inoccupés.
2 La vacance dans les 25 premières communes françaises
Il est connu que le chômage présente des disparités spatiales importantes. Il en est de même en matière de vacance de logements. Cette disparité se manifeste au niveau régional. On rencontre des taux de vacance supérieurs à ou voisins de 10% dans des régions du centre, Limousin, Auvergne, Bourgogne, alors que d’autre régions ont un taux qui égale ou dépasse à peine les 6%, l’Ile-de-France, les pays de Loire et le Nord-Pas-de-Calais. Observons le phénomène à un niveau géographique plus fin en se concentrant sur les zones réputées tendues, c’est-à-dire les grandes villes. Dans le tableau suivant, il apparaît que les 25 plus grandes communes françaises présentent un taux de vacance de 8,1 %, supérieur à la moyenne nationale qui est à 7,6 % en 2012. Conformément à l’évolution française générale ces chiffres s’accroissent depuis 2007, à l’exception de la ville de Paris dont le nombre de logements vacants diminue entre 2007 et 2012.
Evolution 2007-2012 du parc de logements des 25 premières communes françaises
Communes | Parc de logements en 2012(1) | Taux de logements vacants et résidences secondaires (2) | Variation 2007-2012 du parc (3) | Variation 2007-2012 des logements vacants(4) | Variation 2007-2012 des résidences secondaires (5) | Variation vacance/ variation du parc (6)=(4)/(3) | Variation résidences secondaires/ variation du parc (7)=(5)/(3) |
Paris | 1357081 | 0,146 | 20872 | -15387 | 16345 | -0,737 | 0,783 |
Marseille | 423315 | 0,096 | 13018 | 2405 | 3149 | 0,185 | 0,242 |
Lyon | 283456 | 0,117 | 17857 | 3165 | 1183 | 0,177 | 0,066 |
Toulouse | 268427 | 0,103 | 18001 | 6702 | 1776 | 0,372 | 0,099 |
Nice | 224609 | 0,257 | 6655 | 3563 | 2252 | 0,535 | 0,338 |
Nantes | 165543 | 0,091 | 11082 | 1375 | 1915 | 0,124 | 0,173 |
Montpellier | 154810 | 0,115 | 10007 | 148 | 375 | 0,015 | 0,037 |
Bordeaux | 146616 | 0,100 | 4255 | -213 | 1548 | -0,050 | 0,364 |
Strasbourg | 142297 | 0,094 | 3569 | 976 | 750 | 0,274 | 0,210 |
Lille | 128690 | 0,086 | 4827 | 1543 | 604 | 0,320 | 0,125 |
Rennes | 118464 | 0,078 | 4198 | 589 | 364 | 0,140 | 0,087 |
Saint-Étienne | 97343 | 0,141 | 1339 | 1711 | 325 | 1,278 | 0,243 |
Reims | 98357 | 0,086 | 2949 | 1321 | 161 | 0,448 | 0,055 |
Toulon | 90257 | 0,121 | 827 | 883 | 75 | 1,068 | 0,091 |
Le Havre | 89634 | 0,097 | 2321 | 2405 | 100 | 1,037 | 0,043 |
Grenoble | 93447 | 0,120 | 6463 | 2731 | 803 | 0,423 | 0,124 |
Dijon | 89491 | 0,100 | 3331 | 290 | -129 | 0,087 | -0,039 |
Clermont-Ferrand | 85355 | 0,117 | 3798 | 639 | 909 | 0,168 | 0,239 |
Angers | 84817 | 0,094 | 4052 | 2410 | 352 | 0,595 | 0,087 |
Brest | 81515 | 0,103 | 2239 | 605 | 502 | 0,270 | 0,224 |
Tours | 80905 | 0,101 | 1984 | 1372 | 478 | 0,692 | 0,241 |
Limoges | 81323 | 0,103 | 2912 | 2468 | 279 | 0,848 | 0,096 |
Le Mans | 80112 | 0,107 | 2348 | 1303 | -6 | 0,555 | -0,002 |
Aix-en-Provence | 78861 | 0,133 | 1901 | 2055 | 871 | 1,081 | 0,458 |
Nîmes | 79196 | 0,131 | 3501 | 137 | 1139 | 0,039 | 0,325 |
Total 25 premières communes | 0,081 | 0,124 | 154304 | 25196 | 36119 | 0,163 | 0,234 |
Total France hors Mayotte | 0,076 | 0,169 | 1848029 | 484247 | 87417 | 0,262 | 0,047 |
L’augmentation de la vacance résulte d’une augmentation plus importante du nombre de logements que du nombre de ménages qui occupent un logement, ce qui définit les résidences principales. Le stock de logements s’accroît principalement par la construction neuve. Le rapport entre l’accroissement de la vacance et l’accroissement du nombre de logements fournit la contribution de la construction à la vacance. Sur l’ensemble de la France la contribution de l’accroissement du parc à la vacance est de 0,26 sur la période 2007-2012. Autrement dit plus d’un nouveau logement sur quatre contribue à vider un logement existant. Dans les 25 plus grandes communes ce taux est de 0,16. Environ un logement supplémentaire sur 6 contribue à vider un logement existant. La situation de la commune de Paris est atypique, au moins en apparence. On a vu que la vacance y avait diminué ces dernières années. On pourrait penser que cela traduit une occupation plus intensive du parc de logements. Il n’en est rien. Le taux de résidences principales, c’est-à-dire de logements occupés en permanence, est stable entre 2007 et 2012. En fait l’accroissement du parc a été absorbé par les résidences secondaires ou occasionnelles. Près de 80% de l’accroissement du parc de logements parisiens a été consacré aux résidences secondaires ou occasionnelles. L’accroissement de ce segment du parc compense quantitativement la diminution des logements vacants. On peut alors se demander si les logements déclarés vacants en 2007 n’ont pas été déclarés résidences secondaires ou occasionnelles en 2012, notamment pour des raisons fiscales. Cette observation vaut aussi dans une moindre mesure pour les autres communes dans la mesure où l’accroissement du parc a contribué pour près du quart à l’accroissement des résidences secondaires ou occasionnelles. Plus généralement, une large partie de l’accroissement du parc a été absorbé par la vacance ou les résidences secondaires, dont la mesure est fournie par le total des deux dernières colonnes du tableau. C’est le cas pour 30% de l’accroissement du parc de l’ensemble de la France mais de 40% pour les 25 premières communes. Ceci invalide l’idée d’une insuffisance quantitative de logements y compris dans les zones réputées tendues. En définitive presque toutes les villes voient leur taux de résidences principales diminuer, c’est-à-dire leur taux d’utilisation permanente du parc de logements. Ceci étant les situations des grandes villes sont relativement différentes. La situation extrême est celle où des grandes villes voient la presque totalité de l’accroissement de leur parc absorbé par la vacance et les résidences secondaires : il s’agit de Nice, Tours, Limoges. Dans d’autres communes l’accroissement des logements vacants ou utilisés occasionnellement est supérieur à l’accroissement du parc : c‘est le cas à Saint-Etienne, Toulon, Le Havre, Aix-en-Provence. Comme cette ville est réputée très chère, les chiffres sont la preuve que ce n’est pas la pénurie de logements qui rend les prix élevés. Inversement la construction de nouveaux logements risque de n’avoir que peu d’influence sur les prix. A l’inverse seules trois villes voient l’accroissement de leur parc consacré presqu’entièrement à l’accroissement du nombre des résidences principales. Il s’agit de Paris, Montpellier et Dijon. Mais ce résultat ne dit rien sur l’évolution des communes péri-urbaines qui demanderait une autre analyse.
3 Inverser la courbe de la vacance
La vacance des logements est la manifestation de leur abondance. Celle-ci résulte d’une augmentation du stock de logements à un rythme deux fois plus important que le rythme de croissance de la population, 1% contre ½%. La croissance du stock en nombre de logements résulte essentiellement de la construction de logements au rythme moyen de plus de 340000 par an sur la période 2007-2012. L’inversion de la courbe de la vacance se justifie d’un point de vue économique par l’objectif de satisfaire la demande au moindre coût, ce qui passe par une utilisation plus complète du stock existant. Même si une partie de ce stock ne satisfait pas les dernières normes, il est moins coûteux de rénover les logements existants que d’en construire de nouveaux. Enfin, le rythme de construction actuel est dû à une aide publique assez générale. Peu de logements neufs se réalisent maintenant sans aide publique, que ce soit dans le logement social, mais aussi dans l’accession privée avec le PTZ ou l’investissement locatif avec les différents dispositifs fiscaux. Que le rythme de construction élevé que l’on observe soit obtenu spontanément peut éventuellement être acceptable, mais que ce résultat soit obtenu avec de l’argent public est contestable, surtout dans la visée d’un retour à l’équilibre budgétaire.