Les habitants de certains quartiers périphériques des villes cumulent des difficultés sociales importantes, chômage, pauvreté, familles désorganisées, sorties prématurées du système scolaire, précarité. Ces difficultés entraînent parfois des conduites à risque, de la délinquance ou de l’extrémisme religieux. Les difficultés que rencontrent ces personnes sont dues à des facteurs multiples qui sont largement extérieurs au logement. Néanmoins, le logement est concerné dans la mesure où ces personnes sont concentrées dans certains quartiers, les cités ou les Grands Ensembles. Ces quartier sont souvent définis administrativement comme Zones urbaines sensibles, où dominent les logements HLM. Ces logements sont le produit de la politique du logement. La situation actuelle dans ces quartiers conduit donc à examiner les effets de cette politique du logement. On montre comment le fonctionnement du marché du logement et la politique du logement ont conduit à la concentration de populations en difficultés. On discute de la politique de renouvellement urbain menée pour « casser les ghettos ».
1 Comment en est-on arrivé là ?
Les grands ensembles, construits dans les années 60 et 70, n’ont pas toujours été l’habitat d’une population défavorisée. Au moment de leur construction ils représentaient une solution de logement présentant tous les éléments du confort moderne, notamment en termes de confort sanitaire et de chauffage, à une époque où une part importante du parc ancien ne disposait pas de ces éléments de confort. Ils constituaient aussi une réponse à la vraie crise quantitative du logement de ces années-là. Leur caractère attractif a fait aussi que ces logements soient habités par une population plus diversifiée où prédominaient les classes moyennes. C’était d’ailleurs un constat du rapport de la Commission Barre en 1976 qui déplorait ce caractère peu social des HLM.
1.1 Une dégradation de la position d’une partie des logements HLM dans l’offre de logement
A partir des années 80, avec le passage à un habitat quantitativement plus abondant et plus diversifié, le positionnement de cette fraction du parc HLM a évolué. Avec la construction de logements neufs, notamment de maisons individuelles périurbaines, et la rénovation du parc ancien plus central, les HLM des Grands Ensembles sont descendus dans la gamme des logements. Certes des opérations d’amélioration ont été menées sur ces logements, mais elles n’ont pas empêché qu’ils évoluent vers l’extrémité inférieure de cette gamme.
Dans une allocation générale des logements par un mécanisme de marché, les logements les plus attractifs vont à ceux qui disposent des ressources les plus importantes et le prix est celui de l’enchère la plus élevée. Les logements les moins attractifs sont occupés par les plus modestes. Les logements HLM ne sont pas censés être alloués selon un mécanisme de marché et ils bénéficient d’aides publiques. Que les logements HLM les moins attractifs soient occupés par les ménages les plus modestes comme s’ils avaient été affectés par un mécanisme de marché pose le problème de l’efficacité économique et sociale des aides au secteur HLM.
1.2 L’effet négatif des aides à la personne sur la mixité sociale dans le parc HLM
L’allocation des logements est décidée par les organismes dans le cadre d’une politique de peuplement. Ces politiques sont trop opaques pour qu’on puisse tirer des conclusions. Les choix de peuplement ne peuvent toutefois s’opérer que parmi les demandeurs de logement. Or la politique des loyers et des aides à la personne a constitué un puissant facteur de concentration des populations modestes dans cette fraction du parc HLM. Ce mouvement s’est opéré au moment du bouclage des aides à la personne dans le parc HLM. Exposons le mécanisme.
Avant ce qu’on a appelé le bouclage, c’est-à-dire la généralisation des aides à la personne à tous les ménages satisfaisant les conditions, les loyers de ces logements HLM étaient suffisamment modérés pour que les ménages des couches moyennes non allocataires se satisfassent du rapport qualité/prix qu’offraient ces logements.
Les organismes HLM ont profité du bouclage pour revaloriser les loyers des logements. Le mécanisme est le même que celui dans le secteur privé qui conduit à une récupération partielle de l’aide à la personne par les bailleurs sous forme de majoration de loyers. Dans le secteur HLM cette opération s’est faite avec l’assentiment des pouvoirs publics pour donner une bouffée d’oxygène à certains organismes qui rencontraient des difficultés financières.
A cette occasion certains organismes HLM ont déterminé ou fait déterminer les loyers maximaux supportables par un locataire bénéficiant d’une aide à la personne. Dès lors les ménages (un peu) plus aisés qui ne bénéficiaient pas de l’aide à la personne ont été économiquement incités à partir. En outre ils pouvaient profiter de l’offre alternative de logements en accession qui émergeait au même moment.
En définitive, la commission Barre avait conçu les aides à la personne pour élargir la gamme de choix des ménages en matière de logement : on ne donnait plus du logement mais de l’argent pour que les ménages choisissent leur logement. Les aides à la personne étaient donc censées être un facteur de mixité sociale. En réalité elles ont été un facteur de ségrégation sociale par la gestion des loyers HLM. Leur majoration a conduit à l’exclusion des ménages (un peu) plus aisés. Les pauvres ont évincé les riches. Cette éviction aurait pu être la manifestation du caractère social des HLM, si elle ne s’était opérée dans la fraction du parc dont l’obsolescence conduisait déjà à ce phénomène. Les aides à la personne ont accentué le phénomèe. Le dispositif était donc économiquement inefficace et socialement régressif.
2 Le renouvellement urbain : économiquement coûteux, socialement douteux
2.1 Quelle est la situation actuelle ?
Les logements les moins attractifs du parc HLM sont occupés par les plus modestes et les plus précaires. Les loyers y sont trop élevés par rapport à la qualité des logements pour être acceptables par des ménages plus aisés. Ils ne sont acceptables par les plus modestes que grâce à leur solvabilisation par les aides à la personne. Ainsi les aides à la personne permettent de faire payer plus cher aux plus modestes, ce qui permet de rendre le reste du parc HLM attractif en termes de rapport qualité/prix pour les ménages plus aisés. Ce phénomène apparaît nettement en examinant le taux de ménages allocataires selon les groupes HLM. Dans les quartiers les plus déshérités, le taux d’allocataires peut atteindre les ¾ des ménages, et le poids des allocations dans la masse des loyers atteint le même chiffre. Dans les ensembles les plus attractifs, le taux d’allocataires peut être nul.
La concentration de populations précaires dans certains quartiers n’est donc pas seulement le résultat d’une politique de peuplement, c’est-à-dire l’affectation des demandeurs par les organismes. C’est aussi le résultat d’une gestion différenciée des loyers au sein du parc. Les loyers bruts en HLM sont trop chers dans les quartiers périphériques, et le différentiel avec ceux du privé trop faible. Ils sont sensiblement inférieurs à ceux du privé dans les quartiers où le secteur HLM peut attirer des populations plus aisées.
2.2 La politique de renouvellement urbain
Le renouvellement urbain consiste à détruire des logements HLM dans les quartiers sensibles pour en construire le même nombre mais sous forme d’immeubles plus petits et plus modernes, notamment du point de vue de la consommation énergétique. Mais les objectifs ne concernent pas seulement les logements mais aussi leurs occupants. Il s’agit par ce moyen de « casser les ghettos » en tâchant de faire venir dans ces quartiers des populations extérieures.
Le coût de ces opérations pose le problème de leur rationalité économique. On détruit en effet des logements qui ont de 50 à 60 ans, c’est-à-dire des logements jeunes eu égard à l’espérance de vie d’un logement en France, qui est de l’ordre de 120 ans. Certes ces logements sont de qualité moyenne voire médiocre, mais un certain nombre ont fait l’objet de rénovation avec des aides publiques, notamment la PALULOS, et ce, quelque fois à plusieurs reprises. Pour les organismes, ces logements sont très rentables puisque les emprunts sont très largement amortis. Ils constituent des « vaches à lait » selon une expression entendue dans un organisme HLM. Leur destruction n’est donc économiquement pas fondée.
Socialement, la destruction de ces logements vise à « casser les ghettos ». Concrètement, elle tend à faire partir les populations les plus modestes souvent d’origine immigrée pour essayer d’y faire venir des ménages plus aisés et plutôt moins immigrée.
Cette finalité est d’abord contestable. Une politique sociale doit viser à aider en priorité les ménages les plus en difficultés. Les évincer de leur logement n’est pas le meilleur moyen pour le faire. La méconnaissance qui pèse sur le devenir de ces populations est en lui-même révélateur. Les données de l’ANRU fournissent une information sur le relogement pour moins de la moitié des habitants délogés.
Par ailleurs, il n’est pas sûr que le changement de composition de la population soit toujours atteint. Environ un quart de la population est relogée sur place. Elle va donc continuer à constituer le noyau d’habitants par rapport auxquels les nouveaux arrivants vont se définir socialement. S’ils s’installent dans une attitude de rejet, il est douteux qu’ils restent dans cette nouvelle localisation. Inversement, s’ils s’intègrent, ils reconstitueront le même phénomène de ghettoïsation.
Conclusion
Tout d’abord, on constate que l’on subit les conséquences de décisions prises 50 ou 60 auparavant, qu’il s’agisse des décisions d’investissement en logement, notamment les Grands Ensembles, ou des décisions concernant les aides à la personne. Il faut donc réfléchir sur l’impact de long terme des décisions prises maintenant.
Concernant les quartiers difficiles, leurs difficultés sont sociales. Quand elles sont économiques, notamment le problème du chômage, ce n’est pas la politique du logement qui peut les résoudre. Si les problèmes sont sociaux, la solution est dans l’action sociale, pas dans une action sur le logement. Dans les ZUS, les opérations sur le logement représentent des coûts sans commune mesure avec les moyens dévolus à l’action en direction de la population. La suggestion est d’inverser la répartition des moyens financiers mobilisés, avec moins d’argent pour le renouvellement des logements (le béton) et plus pour l’accompagnement de la population.