Paris semble accumuler tous les extrêmes en matière de logement : prix les plus élevés, mal logement le plus choquant, demandes de logements les plus élevées. Y a-t-il une solution à ce problème ?
1) Paris n’est pas un marché du logement mais est le centre d’un marché de 12 millions d’habitants.
Beaucoup de franciliens souhaiteraient vraisemblablement habiter Paris. Cette attirance pour le centre des agglomérations est habituelle en France. En économie des choix de localisation elle est théorisée comme l’expression d’un arbitrage entre la proximité du centre et l’espace, en fonction du prix des logements et des coûts de transport. C’est de cet arbitrage que résulte la décroissance des prix avec l’éloignement du centre. C’est ce qu’on constate dans les prix des logements franciliens : le prix moyen au m² des appartements anciens est de 8260€ à Paris, de 4420€ en première couronne, de 3110€ en grande couronne au 3ème trimestre 2013. L’écart de prix de près de moitié entre Paris et la première couronne et des deux tiers avec la grande couronne révèle la très forte attractivité de Paris.
La proximité du centre n’est pas la seule dimension des logements prise en considération par les ménages. Ils se déterminent aussi par rapport au bâti. Des logements bien situés mais de médiocre qualité sont peu attirants et ont des niveaux de prix inférieurs.
Une solution pour satisfaire cette attirance du plus grand nombre pour Paris est la densification. A cet égard Paris est exceptionnellement dense avec 210 habitants à l’hectare contre 86 pour la petite couronne et 10 pour l’ensemble de l’Ile de France. Le centre de l’agglomération parisienne (Paris plus petite couronne) a une densité moyenne comparable à celle d’Inner London (101 habitants/ha), à cette différence près que le quartier de Londres le plus dense, Islington, n’a que 140 habitants à l’hectare. La différence de densité urbaine est plus marquée entre Paris et sa banlieue qu’entre le centre de Londres et sa périphérie.
Un autre moyen d’ajustement est que les logements sont plus petits dans le centre qu’en périphérie et qu’ils sont occupés également par des ménages de plus petite taille (1,9 contre 2,3), de telle sorte que la surface moyenne par personne n’est pas différente entre Paris et sa banlieue.
Sur l’espace parisien, cette logique de densification et d’atomisation de la population en petits ménages atteint forcément ses limites en l’absence d’opération d’urbanisme d’envergure. Dès lors se pose la question de l’allocation des logements parisiens à des demandeurs qui ne peuvent pas tous être satisfaits.
2) Il n’y a que deux moyens d’allocation possibles des logements, l’allocation par le marché et la régulation.
L’allocation par le marché est le mode d’allocation dominant à l’heure actuelle. Les logements, locatifs ou à vendre, sont alloués au plus offrant selon un mécanisme d’enchères. Ce sont donc les ménages demandeurs qui font le prix (le loyer) des logements. Par ailleurs les biens immobiliers sont en compétition avec d’autres demandeurs, pour abriter des activités économiques ou autres.
Le mécanisme d’enchères conduit à une différenciation des prix et des occupants des logements, les logements les plus attirants étant occupés par les ménages ayant la plus forte capacité à payer. Cette différenciation est à la fois économique et sociale. Le logement est un des lieux où se manifeste de la manière la plus visible la différenciation sociale.
Ce mode d’allocation des logements est aussi générateur de frustrations. En effet, l’accès aux biens ou services autres que le logement est déterminé par la capacité de paiement du seul demandeur. En matière de logement, la possibilité d’accéder à un logement donné ne dépend pas seulement de la capacité de paiement du demandeur mais aussi de celle des autres demandeurs. En effet, il faut pouvoir payer plus cher que le plus offrant pour obtenir le bien visé. Par ailleurs, il existe des coûts de recherche, financiers et non financiers, sans qu’on ait aucune garantie d’obtenir le logement sur lequel on a jeté son dévolu.
L’autre mode d’allocation des logements est la régulation. C’est le mode d’allocation dans le secteur locatif social. La question est alors de savoir selon quels principes doivent être alloués ces logements. Actuellement, les principes sont assez largement opaques. Les bailleurs sociaux sont les décideurs ultimes en matière d’attribution de leurs logements, sans qu’on sache toujours quels sont leurs critères, même s’ils sont encadrés par des contraintes légales.
En matière de logement social deux critères sont inscrits dans la loi, sa vocation sociale et le respect de la mixité sociale.
La vocation sociale peut reposer sur un principe éthique de base, énoncé notamment par Rawls (« Théorie de la justice », 1971) selon lequel il faut compenser les caractéristiques qui handicapent ou désavantagent les personnes. Il s’agit de compenser l’insuffisance, soit de certaines ressources, soit de chances ou d’opportunités, soit de résultats ou de réalisations fondamentaux. Ne doivent être compensées que les caractéristiques dont les personnes ne sont pas responsables. Par ailleurs la compensation ne doit pas satisfaire des goûts dispendieux. De médiocres conditions de logement peuvent être considérées comme une caractéristique à compenser. Un logement à Paris au tarif du marché n’est pas financièrement supportable par certains ménages. Il est donc juste que pour certains, des logements soient accessibles à d’autres conditions que celles du marché.
Quant au caractère dispendieux des goûts, on propose de considérer qu’il est établi quand la collectivité ne peut pas satisfaire ces goûts pour tous. C’est le cas de l’accès à un logement à Paris pour les ménages franciliens. Tous les franciliens qui le désirent ne peuvent pas être logés à Paris. Dès lors il faut définir des critères plus restrictifs d’accès à un logement social à Paris.
Un de ces critères pourrait être le besoin de certaines professions travaillant en horaires décalés d’être logées près de leur lieu de travail parisien en l’absence de moyens de transport adaptés. L’exemple des éboueurs ou des infirmières est quelque fois cité. D’autres principes restent à définir et à annoncer.
Le respect de ces principes suppose que l’affectation des logements sociaux puisse être revue au cours du temps. Cela suppose l’abandon du bail à durée illimitée qui confère au ménage bénéficiaire d’un logement social le droit de s’y maintenir indéfiniment.
Le deuxième critère est le respect de la mixité sociale. C’est un terme ambigu. La mixité sociale a conduit à la disposition de la loi SRU qui impose un quota de logements HLM dans toutes les villes, avec l’idée que, ce faisant, on va installer des « pauvres » chez les « riches ». Mais c’est au nom de la mixité sociale qu’on trouve 20% des locataires HLM avec des revenus supérieurs au revenu médian. En outre ces ménages ne logent pas dans n’importe quelle localisation. Ils sont plus fréquemment logés dans des zones où résident déjà des ménages de CSP+, c’est-à-dire les localisations les plus attractives. Cette situation est assez générale pour être observable statistiquement (Jacquot, 2007, Document de travail de l’INSEE, n° F0708). Dans le cas de Paris des situations de ce type sont également dénoncées. La notion de mixité sociale génère donc beaucoup de flou sur les critères d’attribution des logements sociaux.
En définitive, le problème du logement à Paris est un problème de répartition des ménages franciliens dans un parc dont le centre est fortement attractif. Ce problème ne peut pas être traité au niveau parisien mais à celui de l’ensemble de l’agglomération parisienne. Cela suppose que la compétence logement soit attribuée sans ambigüité à une collectivité territoriale correspondant à cet espace. Ce peut être l’EPCI Grand Paris. Il faudrait aussi que la population puisse exprimer par ses suffrages à cet échelon géographique les orientations qu’elle entend voir donner à la politique du logement.
Ce point de vue vaut aussi pour les autres grandes agglomérations françaises.