Sur les trois crises que la France a connues depuis la guerre et qui ont conduit à une récession, les deux dernières sont dues au secteur immobilier. Lors de ces deux dernières crises le secteur bancaire a été significativement affecté. Lors de la crise des années 85-95 deux grands établissements bancaires français ont dû être consolidés, le Crédit Lyonnais et le Crédit Foncier de France. Lors de la crise des subprimes, c’est l’ensemble du secteur bancaire qui a été affecté, mais de manière limitée, sauf pour trois établissements, Dexia, Natixis, et Crédit immobilier de France, chacun pour des raisons différentes, dont le traitement est encore en cours.
Depuis la dernière crise est née l’idée de séparer les activités de banque de détail et les activités de marché. C’est une proposition du commissaire au marché intérieur et aux services de l’Union Européenne, Michel Barnier. Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a pris parti vigoureusement contre cette proposition. Quels sont les arguments pour et contre ?
Contre : L’argument principal est que cela va restreindre les possibilités de crédit à la clientèle et renchérir le coût du crédit.
Cet argument suppose que les activités de marché servent à financer une partie des crédits à la clientèle. Or les bilans bancaires montrent que l’essentiel des crédits à la clientèle est financé par les dépôts de la clientèle, conformément aux règles de bonne gestion actif-passif. Ces dépôts sont certes insuffisants pour financer l’ensemble des crédits mais toute une gamme de moyens de refinancement existe, notamment pour les crédits immobiliers, les obligations de la CRH, la titrisation, les obligations à l’habitat, etc. Ces moyens permettent d’assurer les besoins résiduels des banques.
Par ailleurs le coût du crédit ne pourrait être affecté par l’externalisation des activités de marché que s’il y avait une péréquation des coûts fixes. Or les activités de marché et de crédit demandent des personnels différents qui génèrent des besoins immobiliers supplémentaires. La part mutualisable des coûts est donc vraisemblablement limitée.
La meilleure illustration du peu d’impact des activités de marché sur le crédit à la clientèle est fournie par certains établissements bancaires, notamment mutualistes, qui ont peu ou pas d’activité de marché mais sont néanmoins très compétitifs du point de vue des crédits.
Peut-être aussi faut-il rappeler que, selon la théorie monétaire, ce sont les crédits qui font les dépôts, et non l’inverse. Ce n’est ni l’augmentation des revenus ni l’évolution du taux d’épargne qui a pu produire un doublement des encours de crédits à la clientèle sur les quinze dernières années. S’il y avait insuffisance de crédits ou cherté du crédit, ce serait essentiellement du fait des politiques monétaires des banques centrales.
Pour : Les arguments pour la séparation sont fondés économiquement. Ils renvoient à l’idée qu’une mutualisation des risques fait supporter aux activités de crédit les risques des activités de marché.
Pour autant, la séparation des deux types d’activité suffirait elle à éviter ce risque ? La séparation prendrait vraisemblablement la forme d’une filialisation. Or, l’exemple de Natixis montre que la filialisation n’empêche pas la couverture des pertes par la société mère. C’est ce qui a d’ailleurs limité les besoins d’intervention des pouvoirs publics. Autre exemple : lors de la crise des subprimes, les grandes banques françaises avaient investi pour le compte de tiers, compte de trésorerie de grandes entreprises notamment, en titres représentatifs de prêts subprimes. Bien que ces fonds n’appartiennent pas aux banques, celles-ci ont compensé les pertes subies par les investisseurs, essentiellement pour des raisons commerciales.
La séparation des deux types d’activité pourrait paradoxalement conduire à une plus grande prise de risques sur les activités de marché. Devenues indépendantes les banques d’investissement prendraient plus de risques du fait qu’elles croiraient en supporter seules les conséquences. En termes plus économiques, la séparation des activités consiste en une démutualisation des risques. Cela ne réduit pas les risques, mais les concentre sur une seule activité.
Rappelons que la crise des subprimes aux États-Unis vient de l’excès de crédits immobiliers due à l’externalisation des risques sur les marchés financiers. Cette externalisation a conduit à une déresponsabilisation de l’ensemble des intervenants dans le circuit de financement des prêts immobiliers. La Federal Reserve Bank aurait pu limiter la croissance de ces crédits. Ce ne sont pas les opérations sur produits dérivés qui sont à l’origine de la crise, c’est la défaillance des emprunteurs primaires, ménages ou états.
En définitive les risques encourus par les banques sur leurs activités de marché dépendent largement des types de gestion, plus ou moins prudentes. Il faut constater que le secteur bancaire français a été globalement peu affecté par la crise. La séparation des activités de marché et de crédit aurait finalement peu d’impacts, positifs par la démutualisation des risques, ou négatifs sur les crédits à la clientèle. Elle serait globalement vraisemblablement neutre. Autant donc laisser les choses en l’état et axer la réflexion sur les seules instances qui auraient pu éviter l’expansion excessive des crédits et empêcher la crise, les banques centrales.
Les infos présentées sont pertinentes et intéressantes. Cet article est pas mal du tout, cela permet d’y voir un peu plus clair car le sujet est finalement moins évident qu’il n’y parait.
Valentin Pringuay / Presse-citron.net
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